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- Des clauses oubliées, aux litiges ass...
Lorsqu’on parle de déclarations et garanties insérées dans les contrats d’acquisition ou d’investissement —, on imagine souvent un passage obligatoire, formel, voire standardisé. Pourtant, l’essor de la digitalisation, de l’ESG, et la sophistication croissante des opérations de M&A font émerger des nouvelles clauses et des exigences inédites.
Certes, la garantie de passif “classique” demeure le socle de la sécurité post-closing, mais elle se transforme au gré des enjeux contemporains : propriété intellectuelle complexe (brevets, algorithmes), conformité RGPD (données personnelles, data sets d’IA), licences open source, impact environnemental, etc.
Dans ce contexte, les vendeurs et cédants (ou la société cherchant des investisseurs) doivent se préparer à toujours plus d’exigence, sous peine de voir leur valorisation écornée ou leur réputation ternie. Pour mieux comprendre cette mutation, passons en revue ces nouvelles frontières et les bonnes pratiques qui permettent de maintenir la confiance entre les parties.
Historiquement, les Reps & Warranties ont pour objet de rassurer l’acheteur ou l’investisseur.
Le vendeur (ou la société) “déclare” qu’il n’existe pas de passif caché, de litige imminent, de défaut d’autorisation, etc., et “garantit” l’authenticité des informations transmises.
En cas de divergence ultérieure entre la réalité et ce qui a été déclaré, un mécanisme d’indemnisation se déclenche, protégeant ainsi la partie victime d’un éventuel préjudice.
Exemple : “La société détient l’intégralité des droits de propriété intellectuelle sur son logiciel, sans contestation en cours.”
Enjeu : si une réclamation de contrefaçon surgit après le closing et qu’elle était antérieurement dissimulée ou ignorée, l’acquéreur peut obtenir réparation.
Limite : Dans les secteurs “classiques”, ce modèle suffit souvent.
Mais dès qu’on entre dans des environnements ultra-digitalisés ou très encadrés (fintech, medtech, cleantech), les clauses standardisées ne couvrent pas toujours la variété des risques émergents (problème d’algorithmes, data sets illicites, dépendances open source, etc.).
La garantie de passif “classique” demeure, en théorie, la pierre angulaire de la protection post-closing (avec seuils de déclenchement, plafonds d’indemnisation, exclusions, etc.). C’est grâce à elle que l’acheteur se protège en cas de découvertes postérieures (dettes, redressements fiscaux, litiges sociaux…).
Limite : Dans un monde en pleine mutation, où la valeur des actifs immatériels (logiciels, bases de données, brevets IA) peut fluctuer rapidement, un unique dispositif de garantie de passif peut se révéler insuffisant.
Par exemple, un problème de conformité RGPD peut provoquer, dans certains cas, une interdiction temporaire de traiter des données, voire une amende colossale, anéantissant la viabilité de l’acquisition. Les méthodes de valorisation traditionnelles peinent à anticiper l’ampleur de tels désastres.
La montée des préoccupations Environnement, Social, Gouvernance (ESG) impose de nouvelles rubriques dans les déclarations et garanties, souvent requises par des fonds d’investissement à conscience “verte” ou des entreprises soumises à des normes sociales strictes :
Respect des normes environnementales : émissions de CO₂, gestion responsable des déchets, transition énergétique, etc.
Traçabilité de la supply chain : absence de travail forcé, politiques anti-corruption, respect des droits humains.
Indicateurs de gouvernance : composition du board, diversité, politiques de lutte contre les discriminations.
Effet : Des clauses de garantie “verte” émergent (indemnisation en cas de passif environnemental non divulgué), tout comme des “ESG Warranties” prévoyant la conformité à de futurs standards (ex. CSRD, directive européenne renforçant la transparence en matière de durabilité).
Les sanctions et la pression des parties prenantes sur les enjeux ESG peuvent sérieusement affecter la valorisation si la cible se retrouve exposée à un scandale.
L’essor de la LegalTech et de l’intelligence artificielle (IA) révolutionne le processus de due diligence :
Automatisation accrue : des plateformes scannent des milliers de contrats pour détecter incohérences ou clauses litigieuses. L’acheteur exige alors des garanties “renforcées” sur la qualité et l’exhaustivité de la documentation.
Nouveaux risques : L’algorithme de la cible est-il propriété exclusive de la société ? Les jeux de données pour entraîner le modèle respectent-ils les droits de propriété intellectuelle et la vie privée ?
Les Reps & Warranties incluent désormais des volets sur la conformité algorithmique, l’origine des data sets, et la gestion du consentement.
Exemple : L’acheteur peut imposer une clause prévoyant une indemnisation si l’on découvre qu’un module d’IA exploite des données sensibles sans autorisation, entraînant un risque de sanction RGPD et la suspension du service.
L’open source est un puissant levier d’innovation, mais certaines licences (GPL, AGPL) imposent des obligations de publication du code source ou de redistribution, pouvant “contaminer” un logiciel propriétaire :
Tendance : Les acquéreurs veulent s’assurer d’avoir une cartographie précise (mapping) de tous les composants open source utilisés, les obligations associées, et l’absence de failles de sécurité.
Réponse : Création de véritables “Open Source Warranties”, où la cible déclare l’exhaustivité des librairies employées, leur compatibilité avec la licence finale et l’absence de conflits ou d’atteinte aux droits d’auteur d’un tiers.
Si l’assurance de garantie de passif (W&I Insurance) n’est plus une nouveauté, elle connaît aujourd’hui des déclinaisons de plus en plus spécialisées :
Couverture ESG : prise en charge d’un passif “vert” si la société a sous-estimé son empreinte carbone ou la pollution résiduelle d’un site industriel.
Clause “cyber” : couplée à une cyber-risk insurance, pour couvrir le risque de faille de sécurité non divulguée (ex. infiltration, ransomware).
Option “data privacy” : indemnisation spécifique en cas d’amende RGPD ou de suspension d’activité pour non-conformité constatée après le closing.
Ces produits sont encore en phase d’expérimentation, avec des tarifs et des exigences de souscription élevés (due diligence renforcée, audits techniques). Mais leur essor reflète la volonté du marché de couvrir les angles morts créés par la transformation numérique.
Face à des réglementations mouvantes (AI Act européen, durcissement des lois environnementales, réformes fiscales), certaines parties optent pour des clauses évolutives, voire des “side letters” dédiées :
Clause de mise en conformité post-closing : engagement formel du vendeur à corriger certaines défaillances identifiées, dans un délai fixé.
Ajustement de valorisation : si une nouvelle loi réduit drastiquement le marché ou impose des coûts de mise à niveau, un mécanisme de révision (proche de l’earn-out) peut s’appliquer.
Focus thématique : des side letters peuvent détailler l’implémentation future d’un plan ESG ou la finalisation d’un audit open source sans surcharger l’accord principal.
Objectif : Maintenir la souplesse requise dans un environnement incertain, tout en évitant les litiges stériles post-signature.
Dans la pratique des garanties de passif (ou déclarations & garanties) en M&A, on retrouve plusieurs mécanismes d’indemnisation qui permettent de définir précisément comment et dans quelle limite l’acheteur peut obtenir réparation si un passif “caché” ou non divulgué apparaît après la signature du deal. Voici quelques exemples de ces mécanismes :
Le “basket”
Il s’agit d’un seuil minimum de réclamation. Autrement dit, l’acheteur ne pourra pas demander d’indemnisation si le montant global de son préjudice (ou de l’ensemble des préjudices additionnés) n’atteint pas au moins ce seuil.
Exemple : on fixe un basket à 100 000 €. Tant que le total des litiges ou des passifs découverts reste sous ce montant, l’acheteur ne peut pas actionner la garantie.
Le “mini-basket”
Variante plus fine du basket : ici, on précise qu’aucun litige individuel de moins d’un certain montant (le “mini-basket”) ne sera pris en compte dans le calcul du basket global.
Exemple : chaque litige en-dessous de 10 000 € n’est même pas comptabilisé pour atteindre le basket, ce qui évite la multiplication de petites réclamations.
Le “cap global”
C’est le plafond maximum au-delà duquel le vendeur n’est plus responsable.
Exemple : le cap peut être fixé à 10 % du prix de vente. Même si l’acheteur découvre un passif plus important, il ne pourra pas demander davantage que cette limite.
Toutes les déclarations et garanties n’ont pas la même “durée de vie”. Certaines, comme la fiscalité, peuvent courir sur plusieurs années pour tenir compte des délais de prescription légale.
D’autres, comme la conformité environnementale, peuvent être plus longues encore, ou à l’inverse plus courtes en fonction des obligations en vigueur.
Exemple : la responsabilité liée aux litiges sociaux peut prendre fin au bout de 24 mois, tandis que la garantie fiscale s’étend jusqu’à la date de prescription fiscale (disons 3 ou 5 ans, selon les pays).
Les exclusions
Il peut exister des cas exclus de la garantie de passif, par exemple :
Dans l’ensemble, ces mécanismes servent à équilibrer la relation entre acheteur et vendeur. L’acheteur bénéficie d’une protection contre les mauvaises surprises, tout en évitant de solliciter le vendeur pour des réclamations insignifiantes ou liées à des événements postérieurs à sa gestion.
Le vendeur, de son côté, limite sa responsabilité dans le temps et dans des proportions budgétairement gérables.
C’est donc un point clé de la négociation : trouver les seuils, plafonds, durées et exclusions adaptés à la nature du deal, au secteur et à la valorisation de l’entreprise cédée.
Les assureurs exigent généralement la preuve d’une due diligence poussée et de clauses bien calibrées pour accepter de couvrir un risque technologique ou ESG.
Les déclarations et garanties ne sont plus un simple bloc juridique à “cocher” dans un contrat.
Elles deviennent un levier stratégique pour aborder de front les nouveaux défis (ESG, data, IA, open source) et sécuriser une transaction dans le monde complexe d’aujourd’hui. Acheteurs, investisseurs, assureurs se montrent de plus en plus exigeants et affinent leurs méthodes d’évaluation, tandis que vendeurs et sociétés cibles doivent anticiper ces attentes pour éviter de voir leur position affaiblie ou leur réputation compromise.
Clé de succès : adopter une démarche proactive, en menant un audit préventif sur les composantes technologiques et ESG, personnaliser ses Reps & Warranties pour adresser précisément ces enjeux, et articuler le tout avec des mécanismes de garantie de passif (ou de couverture assurance) adaptés.
Dans un tel contexte, l’accompagnement juridique et stratégique prend une importance cruciale. Combiner la compréhension technique, la connaissance des réglementations à venir et l’expérience pratique en M&A constitue la meilleure façon de réduire les litiges post-closing et de construire des opérations de croissance crédibles et pérennes.
Les Reps & Warranties, souvent perçues comme un point technique, se révèlent alors un outil clé pour instaurer la confiance et transformer l’accord financier en un véritable partenariat à long terme.
Plus le monde des affaires se digitalise et se “verdit”, plus les Reps & Warranties sont appelées à se réinventer, devenant un chantier d’innovation autant qu’un pilier de la sécurité juridique. Ignorer ce mouvement, c’est s’exposer à de mauvaises surprises… souvent très coûteuses.